Préface de Daniel Dragomirescu
ORPHISME, EXISTENTIALISME ET CONFESSION POETIQUE
Dans la perspective esthétique, déclarée et manifeste du symbolisme de Paul Verlaine (1844-1896), l’auteur de l’adage bien connu “De la musique avant toute chose...”, la création poétique est presque un synonyme de l’art musical. La poésie est musique, véritablement, mais elle est aussi confession, «journal» d’une existence et d’une époque.
La création poétique de Claudio Sottocornola comprend une aire thématique vaste et montre une variété de styles remarquable pour un auteur aux multiples aptitudes: littéraires, musicales, éducatives et culturelles. Un véritable “homme universel” de notre époque, mais également un homme de la société contemporaine avec ses inévitables lumières et ombres, ses qualités et ses contradictions. Le livre Jeunesse... adieu!, réparti en neuf unités chronologiques et thématiques (Premiers regards, Recherches, Jours blancs, Prière, Ville et musique, Aquarelles, Cartoon, Moralité, Pensée faible) se présente comme une summa summarum poétique, dans laquelle l’auteur essaye d’offrir aux lecteurs (peu ou nombreux à notre époque) toute expérience de vie et de pensée, de création littéraire et artistique. De façon à faire naître la question légitime: dans ce paysage si fragmenté, ce paysage en mosaïque, quelles sont les lignes de force ? Naturellement comme dans chaque travail artistique de valeur et d’une certaine pertinence, la réponse se trouve justement dans le contexte implicite de la création littéraire.
À un premier niveau de lecture, Jeunesse adieu! est – comme le titre l’évoque – un mémorial nostalgique du passé (plus ou moins récent), de ses différentes expériences (“premiers regards”), et leur transposition poétique avec les moyens inspirés d’un impressionnisme plein de délicatesse et 14
de sensibilité. La capacité de poétiser de l’auteur, un roi Mida ou plutôt un Marco Polo de la versification, capture l’attention depuis le ébut, comme Sergio Endrigo dans ses très célèbres marine (Quand il y avait mer, L’Arche de Noé): “Les voiliers sillonnaient / arcanes les mers / en accostant / terres orientales / où les mosquées rosées / marbrées étaient, / et les tapis volants...” (Rêve, p. 49). Il y a une musicalité subtile dans cette formule esthétique, qui joue avec les mots “rosee” (rosées) – “moschee” (mosquées) – “marmoree” (marbrées). Dans Révérences (p. 141) la musicalité embrasse tout le texte, qui se prête facilement par ses répétitions, à une interprétation musicale: “...Moi je t’aimais / Moi je t’aimais / comme une algue de la mer / moi je t’aimais / et je me perds (...)”. Les réminiscences nostalgiques de l’enfance et la perspective rétro du temps présent se fondent en Années ’60, fournissant le palimpseste poétique d’une décennie qui a été de multiples façons marquée par l’influence américaine et par ses symboles fugaces, “l’enfant américain”, la musique “yé-yé”, l’invasion présumée des “OVNI” etc., en bref, une évocation concise mais suggestive de l’époque à travers ses “hits” mentaux, sociaux, culturels: “Les années 60 défilaient / en train/ l’enfant américain / le nez en l’air / la nuit tombait mythologique / de étoiles dans le ciel / ...les morceaux yé-yé... / L’Encyclopédie Conoscere / enseignait la Géographie et l’Histoire ...”, etc. (p. 209). Plus proche de nos jours, dans la section troisième avant la fin (Cartoon), on réserve au lecteur une rencontre avec le monde de la post modernité musicale avec un de ses symboles parmi les préférés: “Ce monde qui vient et danse / socquettes blanches en marche / méphistophélès ... / en vols de mouettes (Jackson, / comme le Prince des Lys), / lèvres rouges fines dans la forme / multiplication de lumière / dans la nuit américaine de Milan ...” (Jackson live, p. 277).
Au delà de orphisme, musicalité d’inspiration “décadente” (post-Verlaine) ou simplement du mariage poétique-musical 15
de ces éléments, un autre niveau de la création de Claudio Sottocornola, également significatif, appartient à l’existentialisme, niveau d’inspiration métaphysique et avec des filiations dans la philosophie de Gabriel Marcel et celui qui tient de la création littéraire d’Albert Camus. Cette dimension ne surprend pas, parce que l’auteur est un philosophe de profession (professeur de philosophie et d’histoire dans différents lycées italiens). En ce sens, la réflexion qui précède la deuxième section (Recherche) est une confession existentialiste, qui ne peut pas passer inobservée “... je voulais que ma vie ait une signification dans ses actes et dans son essence...” (p. 69). Cette sensibilité existentielle/existentialiste traverse comme un fil rouge toute la versification de l’auteur, donnant une configuration unitaire à sa création poétique. Un simple acte réitéré de la vie quotidienne est converti en réflexion intérieure, comme dans cette lyrique, réduite dans les notations essentielles quasiment à un aphorisme: “Se réveiller / un matin / jeune / humide / comme si c’était / le premier jour / ... / Dieu, je vis. / Je suis / une mosaïque de lumière ” (Se réveiller, p. 83).
Une poésie existentialiste parfaite, avec l’esthétisme symboliste de Verlaine lui-même, ennemie déclaré de la rhétorique! La section Prière, introduite par un mouvement interrogatif (“A quoi servait la poésie?”), comprend de courts poèmes en prose, où l’inspiration chrétienne mène l’auteur dans le monde du sacré et l’aide à écrire des vers de sensibilité biblique (Oh croix sainte et aimable, p. 185, Jésus, je me sens fatigué et faible, p. 187), de véritables chants liturgiques et des confessions de l'âme.
Mais l’aspect le plus intéressant et le plus représentatif peut-être, dans l’univers poétique de Claudio Sottocornola, se trouve dans son ouverture esthétique à la direction moderniste et même à l’avant-garde de XXème siècle. L’auteur remet en circulation divers thèmes et raisons qui ont déterminé une 16
époque littéraire entière à travers l’avant-garde, en particulier celle qu’on appelle de constructivisme, qui, à Bucarest aussi, a connu un temps de gloire (entre les années 20 et 30). L’univers urbain et tous ses signes distinctifs, qui appartiennent à notre vie quotidienne et post moderne dans le “village global” – les vitrines, les voitures, les bars, l’asphalte, les routes, les autobus, les klaxons, les spots, la IBM, les Adidas, etc. –, sont utilisés pour engendrer de la poésie: “Oh, comme elle est belle la ville / derrière les vitrines d'un bar / comme une pyramide de vols / des klaxons et des autos sur l’asphalte / et de lueurs dans l'air / et la musique dans les oreilles (...)” (Oh, comme elle est belle la ville , p. 195-197).
Donc, “Claudio n'est pas un artiste improvisé (...), il exprime un monde intérieur lié au savoir et à la spéculation philosophique ”, comme l'écrit Donato Zoppo dans l'épilogue de Jeunesse ... adieu!. Mais, à la lumière des considérations évoquées ci-dessus, nous pourrions ajouter: lui est aussi beaucoup beaucoup plus...
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